La variété des traductions en arabe du concept de patrimoine culturel immatériel (PCI) et des terminologies utilisées dans les États partenaires du projet MedLiHer, nécessite des éclaircissements pour une meilleure appréhension de ce patrimoine vivant.
La réunion d’évaluation de la phase II de MedLiHer, qui s’est tenue au Caire les 28, 29 et 30 novembre 2010, visait en premier lieu à évaluer les états de lieux des Etats partenaires du projet MedLiHer. Elle a été l’occasion de lancer un fructueux débat sur la question de la définition PCI et des terminologies utilisées au niveau régional.
Synthèse des débats par Géraldine Chatelard
Chacun des quatre États partenaires* approche le PCI sur la base d’expériences institutionnelles précédentes et d’une histoire particulière, en faisant souvent référence au patrimoine culturel populaire ou aux traditions folkloriques. Le concept de PCI est par ailleurs nouveau, et les participants à la réunion ont exprimé leurs craintes qu’il ne soit pas bien compris par le public. Il existe en effet plusieurs traductions possibles du concept d’immatériel en arabe. Par exemple, la traduction officielle arabe du texte de la Convention, mentionne : “al-mâddî”. D’autres textes parus dans le monde arabe utilisent le terme “ghayr al-malmus”.
On peut retenir de ces discussions les points suivants, susceptibles de guider les États partenaires du projet MedLiHer dans leur travail de définition et d’identification de leur propre PCI :
- La Convention pour la Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel définit dans son Article 2 le patrimoine culturel immatériel et propose une liste non exhaustive de domaines qui composent le PCI. La définition adoptée est volontairement large et inclusive. Si la Convention pose un cadre, elle précise cependant dans son Article 11 qu’il appartient aux États parties d’identifier et de définir les différents éléments du patrimoine culturel immatériel présents sur son territoire, avec la participation des communautés, des groupes et des organisations non gouvernementales pertinentes.
- Le concept de patrimoine culturel immatériel a été préféré, par les experts qui ont participé aux phases préparatoires de rédaction de la Convention, à ceux de culture populaire et de folklore. Il s’agissait d’éviter les ambiguïtés liées à ces concepts qui sont proches de celui de PCI mais ne sont pas exactement équivalents. En particulier, la culture populaire et le folklore incluent parfois des expressions culturelles qui ne sont plus présentées que dans les musées ou conservées dans les centres de recherche spécialisés, ou bien qui ont été séparées de leur contexte culturel d’origine pour devenir des objets de consommation, généralement touristique.
- A l’inverse, le concept de PCI insiste sur l’aspect vivant et significatif des expressions culturelles pour les groupes et individus porteurs de ces traditions. Il inclut également le processus créatif, les savoirs et valeurs qui permettent la production de ces expressions culturelles, ainsi que la nature de la relation entre les producteurs et les récepteurs de ces expressions. Les éléments du PCI sont par ailleurs susceptibles d’être adaptés à des circonstances nouvelles. L’innovation est donc une dimension à part entière du concept tant que cette innovation est le fait des porteurs de tradition et qu’elle contribue à maintenir la valeur culturelle et identitaire des expressions culturelles pour les groupes concernés.
- Sur la base de la définition et des différents domaines, non exhaustifs, du PCI mentionnés dans la Convention, chaque État partie est invité à développer sa propre définition opérationnelle du PCI, et à identifier des domaines et des éléments culturels sur la base des ses propres spécificités. Ce travail de définition, qui passe aussi par une identification des éléments inclus dans le PCI, doit associer un grand nombre d’acteurs sociaux, en premier lieu les détenteurs du PCI.
- Le concept de PCI est un concept opérationnel adopté par l’UNESCO pour unifier les approches et permettre une compréhension entre de nombreux acteurs à l’échelle internationale. Cependant, il n’a pas vocation à remplacer les terminologies nationales ou locales lorsque celles-ci sont en adéquation avec la définition du PCI adoptée par la Convention ou bien avec certains de ses domaines.
Les terminologies et nomenclatures existantes dans les États parties (comme cultures populaires ou traditions folkloriques) ne sont pas problématiques pourvu que les expressions culturelles qu’elles concernent soient vivantes et aient conservé une valeur culturelle, sociale et identitaire pour les communautés, groupes ou individus qui les pratiquent.
Les cinq grands domaines mentionnés dans la Convention ne sont pas exhaustifs et on peut y rajouter, par exemple, les pèlerinages, les lieux de mémoire, les jeux et sports traditionnels, les traditions culinaires, les médecines traditionnelles, les coutumes liées à la maison et à la famille, les pratiques ayant un rôle social, économique et culturel comme l’élevage ou l’agriculture traditionnels, les systèmes de résolution des conflits, etc.
Le PCI recouvre également des formes d’expressions culturelles traditionnelles qui possèdent une dimension immatérielle et qui ne sont généralement pas considérées comme populaires. Il peut s’agir de registres musicaux savants ou de certaines formes théâtrales à l’origine développés comme spectacles réservés à une élite et qui ont depuis trouvé un autre public pour qui elles ont une signification historique, identitaire, sociale et culturelle, et non pas uniquement esthétique et commerciale. Sont concernés également les savoir-faire, systèmes de transmission et méthodes d’apprentissage traditionnels dans le domaine des arts décoratifs, du paysage et de l’architecture ayant une valeur artistique et patrimoniale importante.
Dans le contexte des États partenaires du projet MedLiHer, on peut ainsi mentionner plusieurs éléments du patrimoine culturel arabe traditionnel :
- Toute une série d’expressions musicales savantes très anciennes (wasla, muwachchah, qasîda, ghazâl) ou plus récentes (dawr) que des musicologues, des musiciens et des ensembles musicaux tentent de revitaliser souvent hors de la région. Ces traditions classiques hautement raffinées ne sont généralement pas prises en charge par l’enseignement des conservatoires publics dans les pays arabes et le nombre d’interprètes de haut niveau s’amenuise dangereusement.
- La calligraphie arabe, un art ancestral qui se confond avec les origines de la culture arabe et islamique et se transmettait autrefois de maître à élève après un long processus d’apprentissage formel qui comprenait une dimension spirituelle. Cette expression artistique reste aujourd’hui vivante à travers le monde grâce au travail de plusieurs artistes visuels qui la maintiennent et la renouvellent. Cependant elle est en voie rapide de disparition dans les grands centres urbains arabes.
- Les systèmes de transmission et d’apprentissage, ainsi que les savoirs et savoir-faire liés aux métiers de la construction non seulement populaire mais également monumentale et citadine (métiers de la pierre, de la terre cuite, du bois, du stuc, de la céramique, etc.). La compétence et la capacité des hommes de métier sont essentielles pour assurer une continuité technique et culturelle. Dès lors se pose la question de leur formation, aujourd’hui défaillante en Méditerranée, une réalité qui devrait alerter les autorités du monde éducatif comme de la profession pour en organiser la succession.
Enfin, les États partenaires du projet MedLiHer possèdent parmi leurs populations des groupes linguistiques, ethniques et religieux minoritaires qui enrichissent la diversité culturelle et le PCI des pays concernés. Nombre de leurs expressions culturelles sont partagées avec les populations majoritaires. D’autres cependant leur sont propres (expressions orales, musiques et chants, liturgies, fêtes religieuses, pèlerinages, etc.). Les différents États concernés se doivent de prendre en compte cette diversité dans leurs efforts de définition, d’identification et de sauvegarde de leur PCI.
*Compte tenu de la situation en République arabe syrienne, les activités menées dans le cadre du projet MedLiHer y ont été suspendues à partir d’octobre 2011.