Les principes et modalités opérationnels pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ont été développés à l’issue d’une réunion d’experts tenue au siège de l’UNESCO à Paris en mai 2019. Ces principes et modalités fournissent des conseils aux États parties ainsi qu’aux autres acteurs nationaux et internationaux sur la manière d’impliquer et de sauvegarder le patrimoine culturel immatériel en situation d’urgence et en accord avec les principes de la Convention.
Les principes et modalités opérationnels ont été approuvés par le Comité intergouvernemental durant sa quatorzième session à Bogoto en Colombie en décembre 2019 (Décision 14.COM 13), avant d’être adoptés par l’Assemblée générale durant sa huitième session en septembre 2020 (Résolution 8.GA 9).
Texte adopté par l’Assemblée Générale
Télécharger les principes et modalités opérationnels:
Partout dans le monde, le patrimoine culturel est de plus en plus touché par les situations d’urgence, qu’il s’agisse de situations de conflits ou de catastrophes dues à des risques naturels et d’origine humaine (« catastrophes naturelles »). Ces situations représentent des menaces sur la transmission et la viabilité du patrimoine culturel immatériel, qui constitue un fondement de l’identité et du bienêtre des communautés, groupes et individus ci-après dénommés « communautés ». La sauvegarde du patrimoine culturel immatériel a un double rôle à jouer dans les contextes d’urgence : d’une part, le patrimoine culturel immatériel peut être directement menacé par des situations d’urgence et, d’autre part, il peut être crucial pour aider les communautés à se préparer aux urgences, à y faire face et à s’en relever.
Face à la nature diversifiée et à l’ampleur variable des conflits armés et des catastrophes naturelles, les situations d’urgence constituent un champ d’opération complexe, marqué par la diversité des parties prenantes impliquées. Formulés à l’intention des États parties et de toute autre partie prenante nationale ou internationale concernée, les principes et modalités opérationnels suivants indiquent la meilleure façon de mobiliser et sauvegarder efficacement le patrimoine culturel immatériel dans diverses situations d’urgence.
Les principes et modalités opérationnels exposés ci-dessous s’appuient sur la Stratégie de renforcement de l’action de l’UNESCO pour la protection de la culture et la promotion du pluralisme culturel en cas de conflit armé et sur son Addendum relatif aux situations d’urgence liées à des catastrophes dues à des risques naturels et d’origine humaine, ainsi que sur la résolution 2347 du Conseil de sécurité des Nations Unies (2017). Ils doivent en outre être examinés conjointement aux dispositions pertinentes de la Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et de ses Directives opérationnelles, en particulier le Chapitre VI relatif à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et au développement durable à l’échelle nationale, ainsi qu’aux principes éthiques pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.
Principes
Toutes les interventions visant à sauvegarder et/ou mobiliser le patrimoine culturel immatériel dans les situations d’urgence doivent s’appuyer sur les principes suivants :
Le patrimoine culturel immatériel existe uniquement dans le cadre de sa mise en œuvre par les communautés qui le pratiquent et le transmettent, et il est indissociable de leur vie sociale, culturelle et économique. Par conséquent, sa sauvegarde est intrinsèquement liée à la protection de la vie et du bien-être de ses détenteurs.
Les communautés dont le patrimoine culturel immatériel peut être touché par une situation d’urgence comprennent les individus résidant dans la zone touchée par la catastrophe naturelle ou le conflit armé, les personnes déplacées et leurs communautés d’accueil, ainsi que tout autre individu ou groupe ayant un lien avec le patrimoine culturel immatériel en question.
Les communautés doivent être prioritairement impliquées dans l’identification de leur patrimoine culturel immatériel tout au long de chaque phase de la situation d’urgence. Cela suppose que les communautés soient directement associées à l’évaluation de l’impact de la situation d’urgence sur leur patrimoine culturel immatériel au choix des mesures à prendre pour le sauvegarder ainsi qu’à l’identification des moyens de l’utiliser en tant que ressource pour renforcer leur résilience, faciliter leur relèvement et rétablir la confiance et une coexistence harmonieuse au sein des communautés, et entre elles.
Conformément à l’article 11 de la Convention, les États parties doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel présent sur leur territoire. Cette disposition s’applique dans tous les contextes, y compris lorsque le patrimoine culturel immatériel est touché par une situation d’urgence. Ce faisant, les États parties doivent s’efforcer d’assurer la plus large participation possible des communautés dans les actions de sauvegarde, y compris des réfugiés, des personnes déplacées dans leur propre pays et des migrants présents sur leur territoire.
Les parties prenantes nationales et internationales impliquées dans la gestion des situations d’urgence (y compris les spécialistes de la préparation aux catastrophes et des interventions d’urgence, les acteurs humanitaires, les organisations non gouvernementales et les forces armées) ont un rôle important à jouer dans la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel touché et pour soutenir les communautés concernées afin qu’elles s’appuient sur ce patrimoine pour se préparer aux situations d’urgence et y faire face.
Le patrimoine culturel immatériel est de nature dynamique et polyvalente, et est constamment recréé par ses communautés en réponse à leur environnement, leur interaction avec la nature et leur histoire, y compris les situations d’urgence. Les efforts de sauvegarde ou de mobilisation du patrimoine culturel immatériel doivent toujours prendre en compte et respecter cette nature dynamique et polyvalente.
Modalités
Les modalités suivantes intègrent les principes énoncés ci-dessus et identifient les mesures adaptées à chacune des trois phases principales du cycle de gestion des situations d’urgence, c’est à-dire la préparation, la réponse et le relèvement, tout en reconnaissant que la durée de chaque phase puisse varier et que les phases puissent se chevaucher. Les circonstances et conditions locales détermineront lesquelles de ces actions sont les plus pertinentes et appropriées pour un élément particulier du patrimoine culturel immatériel ou une situation spécifique.
Préparation
Sensibiliser les parties prenantes à la dualité du patrimoine culturel immatériel dans les situations d’urgence ainsi qu’aux présents principes et modalités, et renforcer leurs capacités à cet égard.
En consultation avec d’autres parties prenantes, fournir les ressources et le soutien nécessaires pour renforcer la capacité des communautés à s’impliquer dans tous les aspects de la réduction des risques et de la préparation aux situations d’urgence, en particulier dans les régions et pays à risque.
Inclure les informations relatives à la vulnérabilité des éléments aux situations d’urgence potentielles dans les inventaires du patrimoine culturel immatériel, tel que prévu dans la Convention de 2003. Les inventaires doivent mentionner les capacités qu’ont ces éléments d’atténuer les effets des urgences et fournir des informations détaillées sur les lieux et les communautés concernés afin de permettre de les identifier et d’y avoir accès lors de la phase de réponse à une urgence.
Inclure des mesures de préparation aux situations d’urgence dans les plans de sauvegarde des éléments spécifiques, ce qui peut comprendre : des mesures préventives visant à remédier à leur vulnérabilité potentielle face aux urgences, des mesures préparatoires visant à renforcer et mobiliser leurs capacités d’atténuation ou encore une méthodologie permettant d’évaluer la situation de l’élément lors de la phase de réponse à une urgence.
Intégrer le patrimoine culturel immatériel concerné aux programmes locaux, nationaux, sousrégionaux et régionaux de la réduction des risques et de préparation aux situations d’urgence.
Mettre en relation les organismes de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et les intervenants responsables de la préparation aux urgences.
Réponse
Identifier, localiser et contacter les communautés dont le patrimoine culturel immatériel est touché par la situation d’urgence ou susceptible de l’être.
Privilégier l’octroi de ressources et l’appui aux capacités des communautés concernées afin qu’elles se chargent elles-mêmes d’identifier leurs besoins de sauvegarde immédiats, d’y répondre et de tirer parti de leur patrimoine culturel immatériel pour atténuer les effets immédiats de la situation d’urgence (identification des besoins réalisée avec la participation des communautés). Dans certains cas, cette série de mesures ne pourra être mise en œuvre que lors de la phase de relèvement.
Partager des informations au sein des États parties touchés, entre eux et avec d’autres parties prenantes, en particulier les acteurs humanitaires, les organisations non gouvernementales pertinentes et/ou les forces armées, et ce afin de déterminer la nature et l’ampleur des perturbations subies par le patrimoine culturel immatériel et si ce dernier peut être mobilisé pour atténuer les effets de la situation d’urgence. Cela permettra également de veiller à ce que les opérations de secours prennent pleinement en considération le patrimoine culturel immatériel existant et contribuent à sa sauvegarde.
Chaque fois qu’une évaluation des besoins après une catastrophe naturelle ou un conflit est entreprise, notamment dans le cadre des mécanismes multipartites de réponse aux crises internationales, veiller à ce que le patrimoine culturel immatériel soit intégré. Impliquer les communautés dans l’évaluation des impacts de la catastrophe naturelle et/ou du conflit armé sur leur patrimoine culturel immatériel, ainsi que des pertes et dommages économiques connexes et des impacts sur le développement humain.
Relèvement
Identifier les besoins avec la participation des communautés si cela n’a pas été possible plus tôt.
En fonction des résultats du processus d’identification des besoins, fournir ressources et appui aux communautés afin qu’elles élaborent et mettent en œuvre des mesures ou des plans de sauvegarde renforçant la capacité qu’a leur patrimoine culturel immatériel d’atténuer les effets de l’urgence. Ce soutien doit être assuré tout au long de la phase de relèvement et jusqu’à la phase de préparation suivante, mais aussi lors de la transition entre un état de dépendance vis-à-vis de l’assistance humanitaire et une situation de développement.
Mobiliser le patrimoine culturel immatériel dans la promotion du dialogue, de la compréhension mutuelle et de la réconciliation au sein des communautés et entre elles, y compris entre les populations déplacées et les communautés d’accueil.
Remarque: Les ressources et aides financières doivent être sollicitées auprès des divers fonds liés aux situations d’urgence, comme le Fonds d’urgence du patrimoine de l’UNESCO et le Fonds du patrimoine culturel immatériel (Assistance internationale d’urgence). Les mécanismes d’inscription sur les Listes de la Convention de 2003 peuvent être l’occasion de promouvoir et de renforcer la visibilité des éléments qui contribuent à préparer les communautés aux catastrophes naturelles et/ou aux conflits armés, à y répondre et à s’en relever (Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, Liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente et Registre des bonnes pratiques de sauvegarde). Ces mécanismes peuvent aussi attirer l’attention de la communauté internationale sur les éléments particulièrement menacés par une catastrophe naturelle et/ou un conflit armé (voir le critère U.6 au Chapitre I.1 des Directives opérationnelles de la Convention de 2003 concernant les possibilités d’une procédure accélérée d’inscription sur la Liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente).