Bien des systèmes d’inventaire existants et presque tous les inventaires plus anciens n’ont pas été créés en vue de la sauvegarde, tel que l’entend la Convention de 2003. Certains inventaires ont été créés par des chercheurs pour répondre à leurs propres besoins; d’autres, parmi les plus anciens, sont particulièrement problématiques, car ils ont été établis dans des situations coloniales ou dans le cadre de la construction nationale.

Exhaustivité et étendue de l’information

Tant l’article 11 (b) que l’article 12 de la Convention supposent que la totalité du patrimoine culturel immatériel d’un pays soit couverte, car ils se réfèrent au patrimoine culturel immatériel présent sur le territoire de l’État partie. Les inventaires devraient donc être aussi globaux et complets que possible. Cependant, dans de nombreux cas, cette tâche peut se révéler presque impossible. Les inventaires ne peuvent jamais être complétés ou pleinement mis à jour à cause de l’immense champ du patrimoine couvert par la Convention et du fait que le patrimoine culturel immatériel connaît des transformations et une évolution constantes.

Compte tenu de l’ampleur du patrimoine immatériel devant être identifié et répertorié, il sera sans doute nécessaire de fixer certaines priorités. En l’espèce, les éléments reconnus par les étant particulièrement représentatifs de leur patrimoine culturel immatériel pourraient être inventoriés en premier. Il conviendra de ne pas oublier que la création d’inventaires représente une mesure de sauvegarde. Dans la mesure du possible, il importera donc d’évoquer la viabilité des éléments inventoriés et de souligner les menaces pesant sur leur survie. C’est par exemple le cas des inventaires réalisés au Brésil et en Colombie. Au Bhoutan, en Bulgarie et en Lituanie, le risque de disparition est utilisé comme critère d’inscription à l’inventaire.

Afin d’atteindre aussi vite que possible un certain degré de représentativité dans les inventaires, les États souhaiteront peut-être commencer par y inclure des informations relativement brèves Certains éléments peuvent bénéficier d’une plus grande attention que d’autres, mais il sera préférable, dans la mesure du possible, de présenter chaque élément selon un même modèle en renvoyant, le cas échéant, à des informations détaillées disponibles ailleurs, plutôt que d’intégrer ces informations à l’inventaire.

Mise à jour régulière

Les inventaires doivent être mis à jour régulièrement, comme l’indique l’Article 12 de la Convention. Cette mise à jour est vitale, compte tenu du fait que le patrimoine culturel immatériel est en constante évolution et que les menaces affectant sa viabilité peuvent surgir très rapidement. De nombreux inventaires nationaux comportent des éléments qui n’existent déjà plus, tandis que d’autres contiennent des informations sur des pratiques qui ont substantiellement changé. Les États parties sont tenus de fournir périodiquement des informations pertinentes sur leurs inventaires, y compris sur le processus de mise à jour régulière.

Portée

La Convention laisse explicitement aux États parties le choix entre l’établissement d’un ou de plusieurs inventaires, mais elle reste silencieuse sur les paramètres permettant de définir la portée de chacun de ces inventaires dans le cas d’un système multiple. On peut imaginer des inventaires distincts pour des domaines différents du patrimoine culturel immatériel, pour des communautés différentes ou pour des régions ou des thématiques différentes dans le cadre d’États fédéraux. Quels que soient les acteurs impliqués dans l’élaboration des inventaires ou des parties de ceux-ci, ce sont, en dernière analyse, les États – c’est-à-dire les États parties à la Convention – qui sont responsables de la conception et de la mise en oeuvre de leurs inventaires.

Si les États parties peuvent être encouragés, dans la réalisation de leurs inventaires, à suivre la définition du patrimoine culturel immatériel telle qu’établi par la Convention, ils n’en sont pas obligés, notamment parce que les inventaires doivent être élaborés de la façon la mieux adaptée à la situation de l’État partie concerné. Cependant, si un État partie propose l’inscription d’un élément sur la Liste représentative ou sur la Liste de sauvegarde urgente, ou souhaite demander une assistance financière pour la sauvegarde de cet élément, il devra démontrer que celui-ci rentre bien dans la définition du patrimoine culturel immatériel tel que formulée à l’Article 2 de la Convention.

Domaines et catégories

La plupart des inventaires comprendront un système de classification du patrimoine culturel immatériel. Les domaines énumérés à l’Article 2.2 de la Convention constitueraient un bon point de départ : traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel, arts du spectacle, pratiques sociales, rituels et événements festifs, connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers, et artisanat traditionnel. Comme on l’a déjà noté, la Convention montre clairement que ces domaines ne sont pas exhaustifs et tout système de classification n’est qu’un outil contribuant à organiser l’information dans le cadre d’un inventaire.

Certains systèmes d’inventaire, comme ceux de l’Afrique du Sud, du Cap-Vert et de Maurice, suivent plus ou moins les domaines définis par la Convention de 2003. Dans d’autres États parties, les variantes sont nombreuses : certains, en particulier en Afrique et en Amérique latine, présentent les langues comme un patrimoine culturel immatériel à part entière, et non pas seulement comme un « vecteur » de celui-ci, tandis que d’autres citent explicitement « la musique et la danse », au lieu d’employer le terme d’« arts du spectacle » ou que d’autres encore, par exemple, distinguent la musique de la danse.

Cependant, de nombreuses catégories d’inventaires nationaux peuvent aisément trouver place dans le cadre de l’un ou l’autre des domaines définis par la Convention : la « médecine traditionnelle » et les « systèmes de savoirs autochtones » peuvent être classés dans le domaine des « connaissances concernant la nature » et des catégories telles que « sports » ou « jeux » et « organisation sociale » dans celui des « pratiques sociales ». Des thèmes tels que la « mythologie » et les noms de lieux, d’objets ou d’animaux pourraient trouver place au titre des « expressions orales » et certaines cérémonies religieuses et les pèlerinages à celui des « rituels » ou « événements festifs ». D’autres catégories, telles que les « mémoires et croyances », « informations généalogiques » ou « traditions culinaires » peuvent aussi trouver leur place dans un ou plusieurs des domaines présentés à l’Article 2 de la Convention. Les divergences relatives aux domaines reflètent souvent la différence des points de vue sur le patrimoine culturel immatériel des communautés dans les différentes parties du monde, ce qui est parfaitement cohérent avec l’insistance de la Convention sur le fait que chaque État doit élaborer ses inventaires de façon adaptée à sa situation propre. Ainsi, l’Algérie et Haïti possèdent des catégories séparées pour des pratiques religieuses particulières.

Immatériel et matériel

Certains systèmes d’inventaires ne se limitent pas aux éléments du patrimoine culturel immatériel. Le système lituanien, par exemple, intègre des éléments matériels liés à des pratiques du patrimoine culturel immatériel, aux dépositaires des traditions ou aux archives, ainsi que plusieurs éléments qui ne sont plus pratiqués. À l’inverse, en Belgique, on envisage d’intégrer dans le système de classification du patrimoine culturel immatériel des éléments de la cyberculture et des pratiques virtuelles.

PCI autochtone et/ou d’immigrants

Une autre différence majeure entre les États tient à ce que certains se limitent à inventorier le patrimoine culturel immatériel autochtone ou originel, tandis que d’autres – la Belgique et les États-Unis, par exemple – prennent également en compte le patrimoine culturel immatériel des communautés immigrées. De nombreux États multiculturels ne se cantonnent pas aux expressions et aux pratiques de la culture la plus répandue, mais s’attachent plutôt à prendre en compte d’emblée le patrimoine culturel immatériel des groupes minoritaires.

La documentation

La diversité est grande également en ce qui concerne le volume de la documentation et le niveau de détail des inventaires. Il ne semble matériellement ou financièrement pas possible de fournir des informations détaillées sur toutes les manifestations du patrimoine culturel immatériel présentes dans des pays où ce patrimoine présente une immense variété. Près de la moitié des systèmes en usage aujourd’hui présentent une documentation très étendue, tandis que d’autres sont moins exhaustifs dans l’information qu’ils fournissent sur les éléments répertoriés. Certains prennent la forme de catalogues ou de registres, tandis que d’autres présentent des informations comme une série d’entrées évoquant une encyclopédie. Au Brésil, le système employé intègre les deux approches. À l’échelle nationale, les éléments figurent, à un certain niveau, sur un « Registre » et, à un autre niveau, dans un « Inventaire ». Au niveau national, une documentation abondante est fournie pour ces deux catégories, tandis que, dans les États fédéraux, les inventaires ne comportent pas une telle masse de documentation.

Les droits de propriété

Dans la plupart des pays, il n’existe pas de dispositions légales visant à protéger les droits de propriété des communautés, groupes de praticiens et dépositaires des traditions sur leurs pratiques et expressions culturelles et sociales traditionnelles. Une certaine prudence doit donc s’imposer lors du traitement d’informations aisément accessibles et susceptibles de faire l’objet d’applications commerciales. Faute de protection juridique appropriée, des étrangers peuvent utiliser et exploiter commercialement des informations telles que les savoirs médicaux traditionnels, la connaissance des ressources naturelles ou les traditions musicales et orales. Les communautés devant exprimer un consentement libre, préalable et éclairé avant l’inventaire de leur patrimoine, elles peuvent limiter la quantité d’informations qu’elles souhaitent fournir – voire ne fournir aucune information – sur les éléments de leur patrimoine culturel immatériel. Les communautés peuvent n’avoir pas toujours conscience de la valeur potentielle que revêt pour d’autres leur patrimoine, de telle sorte que les responsables de l’inventaire doivent prendre soin de ne pas y faire figurer d’informations susceptibles de violer la vie privée ou d’inciter à une exploitation injuste de la part d’acteurs extérieurs à la communauté.

Combien de générations?

Il n’y a pas d’ancienneté minimale pour que des pratiques établies et transmises de génération en génération soient considérées comme des éléments du patrimoine culturel immatériel au titre de Convention. Certains États soumettent à une exigence de ce genre l’inscription des éléments du patrimoine à l’inventaire. La durée en est très variable – de deux ou trois générations pour certains États jusqu’à sept pour d’autres. Il est parfois difficile de définir depuis combien de générations une tradition est pratiquée, en particulier dans des communautés dont, traditionnellement, la première langue n’existait pas sous forme écrite. La communauté devant décider elle-même ce qu’elle reconnaît comme étant son patrimoine culturel immatériel, le fait d’imposer de l’extérieur une limite uniforme de durée semble contradictoire avec la Convention.

Il convient d’accorder une attention particulière aux évolutions rapides causées par des facteurs extérieurs et produisant des effets importants : si elles peuvent avoir leurs racines dans des éléments traditionnels du patrimoine culturel immatériel, elles peuvent n’être pas toujours considérées comme procédant d’une chaîne de développement ininterrompue. Certains systèmes d’inventaire n’intègrent pas les éléments revitalisés après une telle interruption, tandis que d’autres choisissent de les intégrer s’ils sont reconnus par une communauté comme étant son patrimoine.

Inventaires régionaux?

Certains États séparent leurs inventaires en fonction des frontières administratives internes. Le Venezuela, par exemple, présente séparément le patrimoine culturel de chacune de ces municipalités. Les États fédéraux structurent souvent leurs inventaires par territoire ; de fait, de nombreux États utilisent les divisions administratives comme principal principe de classification.

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