Décision du Comité intergouvernemental : 15.COM 8.c.2

Le Comité

  1. Prend note que la France a proposé la yole de Martinique, de la construction aux pratiques de navigation, un modèle de sauvegarde du patrimoine (n  01582) pour sélection et promotion par le Comité comme programme, projet ou activité reflétant le mieux les principes et objectifs de la Convention :

Créée il y a plusieurs siècles, la yole de Martinique témoigne de l’importance des embarcations traditionnelles dans l’histoire de la région. La yole est une embarcation légère et rapide, à faible tirant d’eau et aux formes effilées, pouvant naviguer à une ou deux voiles. Pour l’équilibrer, les équipiers doivent se tenir à l’extérieur de la coque à l’aide de longues perches non fixées. Cela demande une grande agilité, beaucoup d’engagement physique et une coordination parfaite. La forme de la yole évolue en fonction des usages et des espaces géographiques où elle est utilisée. Ainsi, la yole de Martinique utilisée par les pêcheurs est parfaitement adaptée aux conditions spécifiques de la navigation le long des côtes de l’île. Au cours des années 1950 et 1960, d’autres types d’embarcations construites en matière composite et équipées de moteurs ont progressivement remplacé la yole traditionnelle. Devant la menace de disparition de ces embarcations qui témoignaient de l’histoire et de la société de l’île, un mouvement spontané de sauvegarde s’est mis en place. Les premières initiatives de sauvegarde ont été portées par les pêcheurs eux-mêmes, qui ont organisé des courses. Le programme de sauvegarde s’est progressivement étoffé au fil des années, et il est désormais soutenu par un grand nombre de partenariats et d’associations engagés de longue date. Plusieurs bonnes pratiques en ont découlé. Les principaux objectifs du programme de sauvegarde sont les suivants : préserver les savoir-faire des charpentiers de marine locaux ; transmettre les savoir-faire liés à la navigation ; renforcer les liens entre les praticiens de la yole et la communauté locale ; et créer une fédération capable d’organiser de grands événements.

  1. Estime que, d’après les informations contenues dans le dossier et fournies par l’État soumissionnaire dans le cadre du processus de dialogue, le programme répond comme suit aux critères de sélection en tant que bonne pratique de sauvegarde, tels qu’énoncés au paragraphe 7 des Directives opérationnelles :

P.1 :  Les activités de sauvegarde de la yole décrites dans le dossier ont d’abord été lancées par les pêcheurs eux-mêmes qui ont organisé des courses, sous la forme de défis entre bateaux au retour de la pêche. La proposition indique que des conditions favorables à la sauvegarde de la pratique de la yole ont été établies, reposant sur de multiples acteurs œuvrant chacun dans son domaine de compétence. La proposition mentionne des mesures de sauvegarde pouvant être classées dans quatre catégories distinctes : la construction, la navigation, les publications spécialisées et la sensibilisation du grand public.

P.2 :  Les yoles de Martinique témoignent de la richesse culturelle des Caraïbes dans toutes ses composantes et de l’importance des embarcations traditionnelles dans l’histoire de la région. La sauvegarde et la revitalisation des yoles ont été assurées par la coordination des actions de différents acteurs locaux et nationaux. À ce titre, la Fédération des yoles rondes de la Martinique joue un rôle majeur, en effectuant des missions relatives à la pratique, au développement et à la démocratisation de cette pratique aux niveaux local, régional, national et international. Les échanges dans le cadre de partenariats avec d’autres îles des Caraïbes sont aussi une occasion de favoriser la coordination régionale.

P.3 :  Le projet reflète les principes de la Convention en matière de dialogue au sein de la communauté des habitants, en mettant en valeur la position importante des artisans et des marins des petits ports de l’île qui détiennent les savoir-faire liés à l’élément et sont respectés pour cela. Cette position importante est aussi un moyen de renforcer la cohésion entre les générations et la transmission de l’élément. En ce qui concerne la diversité culturelle, le projet facilite également les contacts avec les pays voisins et transcende les différences de milieux sociaux et d’origines.

P.4 :  L’État partie a démontré de manière convaincante l’efficacité des mesures de sauvegarde mises en œuvre pour assurer la revitalisation et la viabilité de la yole. Les associations de sauvegarde concernées ont mis en place un réseau d’acteurs et de parties prenantes qui accompagnent les actions en matière de transmission des connaissances associées et assurent la promotion et la viabilité de la pratique au niveau local, mais aussi sa reconnaissance au niveau international. Toutefois, le dossier n’évoque pas les menaces et les risques que pourraient causer la visibilité et la popularité accrues de la yole.

P.5 :  L’État partie est parvenu à démontrer la participation des communautés, groupes et individus concernés à l’élaboration du programme de revitalisation. La proposition indique que toutes les composantes de la communauté locale se sont mobilisées pour la sauvegarde de la yole de Martinique. Dans un premier temps, la transmission était assurée de manière informelle par les pêcheurs et les constructeurs s’adressant aux personnes intéressées par la yole. Puis des bénévoles d’associations d’habitants ont organisé les courses du dimanche et assuré la formation des équipages. La proposition explique aussi que le processus de sauvegarde est encore principalement porté par les associations, qui sont dirigées et animées par les praticiens eux-mêmes.

P.6 :  L’État partie a décrit de manière convaincante dans quelle mesure le modèle de sauvegarde de la yole pourrait servir d’exemple à l’échelle régionale pour la sauvegarde de pratiques similaires. Ce modèle est une source d’inspiration pour les raisons suivantes : il met en œuvre des activités nées du terrain ; il s’appuie sur un fort investissement du tissu associatif, il est transposable et à échelle humaine ; il repose sur l’éducation non formelle ; il présente un patrimoine vivant et évolutif qui utilise de nouveaux matériaux ; et il respecte les obligations en matière de développement durable. Toutefois, les caractéristiques fondamentales de ce modèle sont la forte participation des associations locales et la bonne volonté des autorités municipales et autres parties concernées. La reproductibilité du programme dans d’autres pays ou régions dépend donc en grande partie de leur contexte politique et administratif.

P.7 :  La communauté a manifesté sa volonté de diffuser ces pratiques de sauvegarde avec d’autres communautés par les moyens suivants : accueil d’artisans-experts en résidence ; échanges entre jeunes ; échanges entre praticiens adultes (par le biais de la formation des responsables associatifs partenaires) ; actions culturelles ; coopération universitaire ; et élargissement des communautés d’intérêt.

P.8 :  L’État partie a communiqué suffisamment d’informations sur les procédures d’évaluation des actions mises en œuvre pour sauvegarder et revitaliser la yole. Les évaluations proposées sont à la fois quantitatives et qualitatives. Il est donc possible d’effectuer le suivi des actions des associations (par exemple, la Fédération des yoles rondes compile des rapports annuels), l’engagement des partenaires (grâce à des rapports gouvernementaux), la transmission des connaissances relatives à l’élément (par un travail de veille bibliographique) et l’impact d’activités essentielles au processus de revitalisation, les compétitions par exemple.

P.9 :  Le modèle de sauvegarde adopté par ce programme pourrait être un modèle pertinent pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel des pays en développement. Toutefois, sa réussite dépendrait de l’engagement des communautés, groupes et individus concernés, ainsi que de leur capacité à susciter l’intérêt d’autres acteurs, en particulier des institutions, dont le soutien s’est révélé crucial en Martinique. Ce modèle ne nécessite pas d’investissement coûteux, la mise à disposition des matières premières nécessaires à la construction des bateaux suffit.

  1. Décide de sélectionner la yole de Martinique, de la construction aux pratiques de navigation, un modèle de sauvegarde du patrimoine comme programme, projet ou activité reflétant le mieux les principes et objectifs de la Convention ;

  2. Invite l’État partie à tenir particulièrement compte de l’impact d’un tourisme accru et excessif sur la sauvegarde de l’élément, afin d’éviter sa potentielle décontextualisation ;

  3. Rappelle qu’il est important d’utiliser un vocabulaire conforme à l’esprit de la Convention et d’éviter des termes comme « patrimoine unique » ;

  4. Rappelle en outre qu’il est important que l’État partie s’assure, dans ses prochains dossiers de candidature, que tous les documents, y compris les lettres de consentement, mentionnent le bon mécanisme d’inscription sur les listes de la Convention de 2003 ;

  5. Encourage l’État Partie à éviter, dans ses prochains dossiers, les lettres de consentement standardisées.

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