Malgré la liberté laissée aux États dans la manière d’inventorier le patrimoine culturel immatériel, la Convention impose plusieurs conditions, dont la plus importante est celle qui exige la participation des communautés.
Les communautés étant celles qui créent le patrimoine culturel et le maintiennent vivant, elles occupent une place privilégiée dans sa sauvegarde. Les communautés qui pratiquent le patrimoine culturel immatériel sont mieux placés que quiconque pour l’identifier et le sauvegarder, et doivent donc être impliquées lorsque leur patrimoine culturel immatériel est amené à être identifié par le travail d’inventaire. La définition que donne la Convention du patrimoine culturel immatériel nous rappelle qu’il doit être reconnu par les communautés, groupes et individus dont il relève ; sans cette reconnaissance, personne d’autre ne peut décider pour eux qu’une expression ou une pratique donnée est leur patrimoine. Il est donc naturel que l’inventaire ne puisse se faire sans la participation des communautés, des groupes ou des individus dont le patrimoine doit être identifié et défini. Parfois, bien entendu, des communautés peuvent ne pas avoir le pouvoir ou les moyens de le faire seules. Dans ce cas, l’État ou des agences, institutions ou organisations peuvent s’employer à les aider à inventorier leur patrimoine vivant.
La documentation consiste à enregistrer le patrimoine culturel immatériel, dans son état actuel, sous une forme matérielle et à collecter les documents qui s’y rapportent. La documentation suppose souvent l’utilisation de différents moyens et formats d’enregistrement et les documents recueillis sont souvent conservés dans des librairies, dans des archives ou sur des sites Web, où ils peuvent être consultés par les communautés concernées et le grand public. Cependant, les communautés et les groupes ont également des formes traditionnelles de documentation, comme les livres de chants ou les textes sacrés, les échantillons de tissage ou des recueils de motifs, ou encore les icônes et les images qui constituent des enregistrements d’expressions et de connaissances du patrimoine culturel immatériel. Les actions novatrices d’auto-documentation menées par les communautés et les programmes de rapatriement ou de diffusion des documents d’archives destinés à encourager une créativité continue sont des exemples de stratégies de sauvegarde qui ont fait leurs preuves et sont de plus en plus employées.
L’Article 13(d)(ii) souligne également que les États parties devraient toujours garder présentes à l’esprit les pratiques coutumières en matière d’accès au patrimoine immatériel. Dans certains cas, cela peut supposer que certaines formes de patrimoine culturel immatériel ne devraient pas faire l’objet d’un inventaire ou que certains éléments du patrimoine culturel immatériel figurant déjà dans des inventaires ne devraient être rendus publics que moyennant certaines restrictions. Plutôt que de créer une documentation détaillée sur des questions sensibles, les communautés peuvent décider, par exemple, d’indiquer dans les inventaires qui sont les gardiens de certains savoirs. Fournir des informations sur un élément du patrimoine culturel immatériel dans un inventaire rend plus facile l’accès à cet élément. Dans l’esprit de la Convention, la volonté des communautés qui refusent d’intégrer un élément de leur patrimoine culturel immatériel dans un inventaire doit être respectée.
Bien que certains États fassent déjà participer intensément les communautés de dépositaires du patrimoine culturel immatériel, de nombreux projets d’inventaire ne prennent pas encore en compte les dispositions de la Convention relatives à l’implication des communautés. Souvent, ils ont été conçus par des organisations et des personnes extérieures aux communautés et n’ont pas été créés en vue d’assurer la viabilité du patrimoine culturel immatériel, comme l’exige la Convention.
Les États parties ont la responsabilité de prendre les dispositions institutionnelles appropriées pour associer les communautés au processus d’élaboration des inventaires. Ces dispositions peuvent comprendre la création ou la désignation d’organes administratifs intersectoriels destinés à évaluer la législation, les institutions et les systèmes traditionnels de sauvegarde pertinents et déjà existants, ainsi qu’à identifier les meilleures pratiques et les domaines susceptibles d’amélioration. Ces organes seraient chargés de dresser les inventaires du patrimoine culturel immatériel, de concevoir des politiques de sauvegarde, d’élaborer des actions pour sensibiliser à l’importance du patrimoine culturel immatériel et encourager la participation publique à l’inventaire et à la sauvegarde de celui-ci. L’organe administratif devrait également, si nécessaire, élaborer des mesures de sauvegarde appropriées pour le patrimoine culturel immatériel inventorié. Les États parties peuvent également souhaiter mettre en place des organes consultatifs comprenant des praticiens et autres dépositaires de traditions, des chercheurs, des ONG, la société civile, des représentants locaux et d’autres personnes qualifiées, ainsi que des équipes locales de soutien
comprenant des représentants de la communauté, des praticiens de la culture et d’autres personnes possédant des compétences et des connaissances spécifiques en matière de formation et de renforcement des capacités. Les méthodes d’inventaire du patrimoine culturel immatériel peuvent être mises en oeuvre par étapes et doivent reposer sur l’identification de tous les partenaires pertinents et sur leur participation au processus. Les conséquences éventuelles de l’inventaire, les procédures visant à assurer une relation éthique entre dépositaires et les pratiques coutumières régissant l’accès au patrimoine culturel immatériel doivent également être identifiées.
L’inventaire doit être un processus descendant et ascendant impliquant aussi bien les communautés locales que les gouvernements et les ONG. Afin de permettre aux État parties de satisfaire l’exigence de participation des communautés, des procédures devraient être mises en place pour :
- identifier convenablement les communautés ou les groupes et leurs représentants ;
- s’assurer que seul le patrimoine culturel immatériel reconnu par les communautés ou les groupes soit inventorié ;
- s’assurer que le consentement libre, préalable et éclairé des communautés ou des groupes ait été obtenu en vue de l’inventaire ;
- s’assurer du consentement des communautés lors de la participation de personnes qui n’en sont pas membres ;
- respecter les pratiques coutumières en matière d’accès au patrimoine culturel immatériel ;
- impliquer étroitement les autorités publiques locales ou régionales ;
- adopter et suivre un code éthique qui devrait s’inspirer des leçons tirées des bonnes pratiques dans le monde entier.