L’Espagne est divisée en 17 Communautés autonomes (divisions territoriales définies dans la Constitution espagnole qui ont des pouvoirs exécutifs et une autonomie législative) et deux Villes autonomes. Compte tenu des compétences transférées en matière de questions culturelles, les activités en lien avec le patrimoine culturel immatériel sont présentées sous deux rubriques : (i) les institutions, initiatives et différentes mesures mises en œuvre par l’Administration générale d’état et (ii) celles qui sont du ressort des Communautés autonomes. Au niveau national, au sein du Ministère de l’Éducation, de la Culture et des Sports, la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel relève de la Direction générale des beaux-arts et des biens culturels et des archives et bibliothèques (Dirección General de Bellas Artes y Bienes Culturales y de Archivos y Bibliotecas), rattachée au Secrétariat d’État à la Culture. Ce Secrétariat délègue ses fonctions à différentes Sous-directions générales dont trois sont compétentes en matière de patrimoine culturel immatériel : (1) la Sous-direction générale de protection du patrimoine historique (Subdirección General de Protección del Patrimonio Histórico) qui est responsable du Registre des sites d’intérêt culturel, de la coordination avec les unités du Ministère concernées par la sauvegarde des biens du patrimoine et de l’application du système légal en vigueur de protection du patrimoine historique, c’est également l’interlocuteur de l’Espagne avec l’UNESCO ; (2) la Sous-direction générale de l’Institut du patrimoine culturel d’Espagne (Subdirección General del Instituto del Patrimonio Cultural de España – IPCE) qui est responsable de la sauvegarde et de la restauration des biens du patrimoine historique immeuble, y compris du patrimoine culturel immatériel ; et (3) la Sous-direction générale des musées d’état (Subdirección General de Museos Estatales). Au niveau régional, les organes sont différents dans chaque région administrative, ils sont détaillés dans le rapport complet.
Le Plan national pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adopté en 2011, oriente les travaux de ces organes, il a été conçu pour atteindre les objectifs suivants : (1) définir les bases théoriques, convenues par tous, en ce qui concerne le patrimoine culturel immatériel ; (2) élaborer des projets d’identification, de documentation, de diffusion auprès du plus grand nombre et de promotion des manifestations du patrimoine culturel immatériel ; (3) sensibiliser la société et parvenir à une reconnaissance institutionnelle dans le cadre des politiques culturelles ; et (4) faciliter la diffusion des informations et la coordination entre les administrations gouvernementales. Une Commission technique interdisciplinaire de suivi, composée de techniciens représentant les gouvernements régionaux et d’experts externes, a été établie afin de coordonner et de suivre les actions entreprises dans le cadre du Plan.
En ce qui concerne la documentation, au niveau de l’état central, le Centre de recherche du patrimoine ethnologique et le Musée national d’anthropologie sont tout particulièrement chargés des collections concernant le patrimoine culturel immatériel. Au niveau de l’administration régionale, un certain nombre d’institutions sont mentionnées dans différentes régions, la plupart sont des musées ou des instituts ethnographiques et/ou spécialisés.
S’agissant de l’inventaire, les différences historiques, culturelles et d’identité entre les territoires espagnols justifient une organisation par les organes régionaux, mieux adaptée qu’une démarche centralisée au niveau national. Chaque Communauté autonome a envisagé une approche différente pour réaliser son inventaire qui a d’ailleurs des objectifs distincts selon les territoires. Il y a deux catégories principales d’inventaire : (1) les inventaires généraux qui enregistrent, à différents niveaux, tous les domaines du patrimoine culturel immatériel d’une communauté autonome comme c’est le cas en Andalousie, en Catalogne, dans la communauté de Madrid, à Murcie et aux Îles Canaries, où ce type d’inventaire permet d’avoir une compréhension globale du patrimoine vivant de la région ; et (2) des inventaires partiels ou fragmentés qui analysent un ou plusieurs aspects du patrimoine culturel immatériel d’une communauté autonome comme c’est le cas en Aragon et Castille-et-León où des inventaires et des catalogues spécifiques ont été dressés. Chaque inventaire régional a ses propres critères d’inclusion et ses propres procédures.
Il y a deux registres nationaux (au niveau de l’état) du patrimoine culturel qui sont pertinents en matière de patrimoine culturel immatériel : (1) le Registre général des biens d’intérêt culturel, administré par la Sous-direction de la protection du patrimoine historique, il inclut principalement le patrimoine meuble et immeuble mais également des données concernant le patrimoine culturel immatériel que les Communautés autonomes s’engagent à sauvegarder sous diverses formes ; et (2) l’Atlas des vignobles traditionnels d’Espagne et leurs paysages uniques, administré par la Sous-direction générale de l’Institut du patrimoine culturel d’Espagne (IPCE), ce registre est dressé au moyen d’une méthodologie spécifique qui a été mise à jour, de questionnaires, de feuilles de données et d’une carte normalisée de la viniculture et de ses paysages culturels.
Le Plan national de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel oriente les autres activités de sauvegarde entreprises en Espagne. Le Plan prévoit la mise en œuvre d’une série de programmes pour définir des méthodes d’action et réaliser des projets ayant pour objectif la recherche, la documentation, la sauvegarde et la diffusion du patrimoine culturel immatériel. Il s’agit d’un plan décennal, après cinq ans de mise en œuvre, les objectifs seront révisés. Trois programmes ont été élaborés au titre de ce Plan : (1) Recherche et documentation, au moyen de registres, d’inventaires, de catalogues, d’atlas et d’études et de plans de sauvegarde spécifiques ; (2) Sauvegarde du matériel support du patrimoine culturel immatériel, qui implique une sauvegarde du patrimoine meuble et immeuble associé aux éléments et manifestations du patrimoine culturel immatériel ; et (3) Formation, transfert, promotion et diffusion auprès du plus grand nombre du patrimoine culturel immatériel, programme mis en œuvre par : les communautés locales, régionales, nationales et transnationales et les organisations culturelles ; les institutions en charge d’organiser des expositions ; les institutions éducatives et les centres de formation ; les agents touristiques et les centres d’accueil des visiteurs du patrimoine culturel ; ainsi que les médias.
En ce qui concerne l’éducation, l’IPCE a fait réaliser (contenu et présentation) quatre modules d’enseignement sur le patrimoine culturel immatériel pour les écoles maternelles et l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Ces quatre unités seront simples, tant pour les étudiants que les enseignants, et le matériel pédagogique sera disponible sur la page web de l’IPCE, dans la section consacrée au patrimoine immatériel. Les administrations régionales mettent en œuvre toute une gamme de programmes éducatifs. Par exemple, en Andalousie, l’Institut andalou du patrimoine historique (Instituto Andaluz del Patrimonio Histórico – IAPH) organise des programmes éducatifs et des campagnes de sensibilisation et d’information visant la société dans son ensemble et les jeunes en particulier, et compile les matériels éducatifs sur le patrimoine culturel immatériel pour les programmes scolaires. Les Asturies organisent des activités et des ateliers éducatifs afin de sensibiliser et de promouvoir le patrimoine vivant auprès des jeunes, avec un soutien documentaire et consultatif à l’intention des enseignants, disponible dans plus de trente écoles de musique traditionnelle. Le Programme d’éducation au patrimoine des Îles Canaries vise à dispenser aux étudiants la formation nécessaire afin qu’ils comprennent les principaux éléments du patrimoine culturel des Îles Canaries, en utilisant des méthodes modernes d’enseignement et différents médias créatifs (modèles, jeux du patrimoine, bandes dessinées). En outre, le Silbo Gomero (langage sifflé) doit être intégré dans le programme scolaire de l’île de la Gomera, dans un premier temps en tant qu’activité extrascolaire puis dans le programme scolaire officiel. L’éducation non formelle occupe une place importante dans la plupart des programmes des Communautés autonomes. Par exemple, en Galice, les districts provinciaux accordent chaque année des subventions pour l’étude de la musique et de la danse traditionnelle, les membres des associations sollicitent d’ailleurs ces formations, les enseignants deviennent à leur tour les détenteurs des connaissances. Ce mécanisme remplace ou réintroduit certaines formes traditionnelles de transmission culturelle dans les processus contemporains vivants.
Le « Guide des routes des sages aux Canaries » est un bon exemple d’éducation aux espaces naturels et lieux de mémoire en lien avec le patrimoine culturel immatériel, il associe traditions, randonnées, coutumes et histoire le long d’itinéraires sélectionnés pour leur valeur ethnographique et paysagère unique. Il convient également de mentionner l’Ecomuseu de les Valls d’Àneu (écomusée) en Catalogne et le Musée régional de l’environnement à Murcie, qui organise des visites guidées des zones naturelles liées à la mémoire des métiers traditionnels tels que, par exemple, les puits à neige, les caleras ou marais salants, tant dans les terres que sur la côte. Le Musée étudie également l’architecture traditionnelle locale.
La coopération bilatérale, sous-régionale, régionale et internationale est souvent mise en œuvre par les Communautés autonomes. Par exemple, les Îles Canaries participent activement au projet CODEPA (Coopération pour le développement par le patrimoine historique) qui reçoit un soutien financier du Fonds européen de développement régional de l’Union européenne, dans le cadre du Programme 2007-2013 Madère-Açores-Canaries en faveur de la coopération transnationale auquel participent les Îles Canaries, le Sénégal, le Cap-Vert et la Mauritanie. L’objectif de ce projet est de créer un réseau durable et stable de sauvegarde, d’étude, de connaissance, de mise en valeur et de diffusion du patrimoine culturel exceptionnel de la zone atlantique euro-africaine envisagé comme un élément moteur du développement durable. La Galice participe avec l’Irlande, les régions atlantiques d’Espagne, le Portugal, la France et le Royaume-Uni au projet DORNA qui met en avant la sauvegarde et la revitalisation du patrimoine maritime traditionnel des régions atlantiques de l’Europe en tant qu’élément endogène de développement local. Murcie a participé au projet européen MEDINS, conçu dans le cadre du programme INTERREG III B-MEDOCC (Espace immatériel européen). Ce projet vise à mettre en œuvre des politiques de sauvegarde du patrimoine immatériel dans la région méditerranéenne qui soient conformes aux directives énoncées dans la Convention de 2003.
L’Espagne a dix éléments inscrits sur la Liste représentative qui font l’objet d’un rapport pour le présent cycle (deux d’entre eux sont multinationaux) : le mystère d’Elche (incorporé en 2008 après avoir été proclamé chef d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité en 2001) ; le Patum de Berga (également incorporé en 2008, après avoir été proclamé chef d’œuvre en 2005) ; le langage sifflé de l’île de la Gomera (îles Canaries), le Silbo Gomero (2009) ; les tribunaux d’irrigants du bassin méditerranéen espagnol : le Conseil des bons hommes de la plaine de Murcie et le Tribunal des eaux de la plaine de Valence (2009) ; le chant de la Sibylle de Majorque (2010) ; le Flamenco (2010) ; les tours humaines (2010) ; la diète méditerranéenne (2010, avec la Grèce, l’Italie et le Maroc) ; la fauconnerie, un patrimoine humain vivant (2010, avec les Émirats arabes unis, l’Autriche, la Belgique, la République tchèque, la France, la Hongrie, la République de Corée, la Mongolie, le Maroc, le Qatar, l’Arabie saoudite et la République arabe syrienne) ; et le festival de « la Mare de Déu de la Salut » d’Algemesí (2011).
L’intérêt pour le festival de « la Mare de Déu de la Salut » s’est accru parmi les participants au rituel et les habitants d’Algemesí, et de nouveaux ateliers d’artisanat (peinture, impression, céramique, figurines en papier mâché, chaussures traditionnelles, pâtisserie) ont été créés. En ce qui concerne les tours humaines, les groupes sont plus nombreux et le nombre de représentations a presque doublé entre 2009 et 2011, l’inscription a également renforcé l’identification du peuple catalan à l’élément. L’inscription du Silbo Gomero a permis à la communauté de considérer l’élément comme universel et non comme une simple curiosité locale, suscitant un sentiment de responsabilité collective envers l’élément. De même, la population locale et les participants au Patum de Berga ont été renforcés dans leur conviction qu’ils doivent sauvegarder et transmettre aux générations futures un élément de valeur. L’inscription du mystère d’Elche a eu pour conséquence la promulgation d’une loi qui réglemente sa pratique dans le cadre d’un plan de sauvegarde de la langue traditionnelle, des traditions artisanales, etc. Les tribunaux des irrigants de la côte méditerranéenne de l’Espagne ont été intégrés dans le projet européen Naturba en tant que nouvel outil de sauvegarde dans le domaine du développement urbain durable.